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Journaliste, le plus beau métier au monde

Omar Ouahmane, est grand reporter français, mais avant tout citoyen du monde. De la Syrie, aux États-Unis, en passant par le Japon à nos rues, il traverse le globe pour toujours être au plus près des populations. Il a un seul objectif, être au service de l’autre avec comme mot d’ordre : informer.

 

Aloïs Liponne : Vous étiez reporter, puis grand reporter et maintenant correspondant au Liban pour Radio France, comment s’est déroulée votre carrière ?

Omar Ouahmane : J’ai débuté ma carrière de journaliste en 1993. J’étais pigiste pour la Voix du Nord à Lille et pour RTBF (Radio Télévision Belge Francophone). J’habitais Bruxelles et je faisais mes études à Roubaix.

En 1995, je suis entré à Radio France. Il y avait une radio du nom de Radio Urgences qui cherchait un reporter, et j’ai été choisi. Cette station était destinée aux sans abris et associations qui leurs vient en aide. Urgences diffusait plusieurs heures par jour de l’information service et donnait la parole à ces personnes en précarité.

“Selon moi, le journalisme n’a pas lieu d’être s’il n’est pas au service des autres.”

C’est pourquoi j’ai postulé pour travailler sur cette antenne de Radio France. Et puis, pour moi il est important quand on est journaliste, d’être dehors, au contact du réel. Cet univers précaire et de l’exclusion, tout le monde peut tomber dedans. C’est important de le rappeler.

Ensuite, on m’a appelé pour travailler sur les ondes du Mouv’, station de Radio France à destination des jeunes. A ce moment là, j’ai commencé à faire des reportages à l’étranger. J’ai travaillé sept ans pour le Mouv’.

Puis, toujours sur les chaînes de Radio France, j’ai exercé pour France Culture. Cette chaîne a du fond. Elle est sensible. Et surtout, elle respecte le cahier des charges du service public. Elle ne doit pas vendre du contenu, elle existe pour être au service de l’auditeur. J’ai continué à faire de l’information à l’international.

Et enfin, je suis devenu reporter de guerre. C’est mon quotidien, même si je déteste la guerre. Aujourd’hui, je suis correspondant au Liban, à Beyrouth, pour Radio France.

 

A.L : Vos reportages sont axés sur une dimension sociale. Quelles ont été vos motivations à être proche de la population mondiale ?

O.O : “L’humanité est une et indivisible, elle est au bout de la rue autant qu’au bout du monde.”

En France, nous ne connaissons pas la guerre, nous ne savons pas ce que c’est. Les conséquences sur les populations civiles, des guerres, des catastrophes naturelles, des drames, c’est important de les montrer. Il faut rappeler les souffrances que ces personnes vivent. Ce pourrait être nous à leur place.

Les guerres et leur fonctionnement me passionnent. J’essaye de comprendre ce qu’il se passe dans la tête des gens qui orchestrent ces massacres.

Plus globalement, ce sont les gens qui m’intéressent.

“Je veux rendre au journalisme, ce que le journalisme m’a apporté.”

Voyager dans tous ces pays, vivre avec leurs populations, les comprendre, ça m’a fait mûrir. Je leur dois la parole.

 

A.L : Vous avez fait un reportage, mais aussi une expérience de vie lorsque vous avez suivi une famille syrienne dans son périple loin des bombes. Qu’est ce qui vous a inspiré à faire ce reportage ?

O.O : Je connais la Syrie depuis juin 2011. J’ai vu la réalité de la guerre là-bas. C’est un massacre. Le  régime s’attaque à son peuple. Il ne fait pas de différence entre les civils et les combattants. Aujourd’hui, 10 millions de syriens sont des déplacés à l’intérieur de la Syrie, 5 millions se sont réfugiés dans les pays voisins et 1 million ont pris la route des Balkans pour trouver refuge en Europe. Ils n’ont pas d’autre choix que de partir ou mourir en mer.

“C’était important que je vive cette expérience avec eux pour pouvoir témoigner.“

Il fallait que je raconte l’histoire d’une famille. Vivre les étapes de leur traversée, c’était un moyen de voir la réalité. J’ai arpenté plusieurs bus avant de trouver une famille réveillée. Je me suis présentée à elle. Un couple et leurs deux enfants, ils étaient prêts à partager ce périple avec moi. J’étais témoin direct de ce qu’ils vivaient et à la fois présent pour eux psychologiquement. Ils étaient terrifiés et à la fois rassurés que je fasse parti du voyage.

 

A.L : Comment faites-vous pour construire une vie de famille alors que vous êtes souvent à l’autre bout du monde?

O.O : C’est compliqué. J’ai une femme sur qui je peux compter et trois filles. Il faut s’adapter, ce n’est pas plus compliqué que la vie de famille d’un diplomate ou d’un militaire. Bien sûr j’ai des missions de plusieurs semaines où je ne revois pas ma famille. Cela reste la vie que j’ai choisi. Ce n’est pas simple, mais ça tient.

 

A.L : Après votre agression et séquestration au Mali, vous êtes-vous remis en question sur vos choix de déplacements, la manière d’exercer votre métier ?

O.O : Ce n’est pas la situation qui m’a le plus marqué. J’ai été enlevé et séquestré une nuit. Des mutins m’ont fait subir des simulacres de d’éxécution. J’étais dans l’attente, je ne savais ce qui allait réellement advenir. Au matin, ils m’ont relaché, je suis sorti indemne.

Cela n’a pas du tout remis en question m’a manière de travailler, au contraire. Je suis d’ailleurs retourné au Mali, plusieurs fois, notamment dans le nord à Kidal et Aguel’hoc. C’est un pays que j’affectionne tout particulièrement pour la richesse de sa culture, la beauté de ses paysages et surtout le sens de l’hospitalité des maliens. Je ne me suis pas arrêté à ce simple événement.

En réalité, j’ai vécu bien pire que cet enlèvement. Je me suis fait arrêté par des djihadistes étrangers dont plusieurs tunisiens, en Syrie entre la ville d’Alep et Hama en 2013. Mon chauffeur était pétrifié de peur. Heureusement, ils m’ont laissé partir après un long interrogatoire, parce que je m’appelle Omar et qu’ils pensaient que j’étais musulman. Autrement je ne sais que ce qu’il se serait passé.

“J’ai toujours intégré l’idée que je pouvais me faire enlever, arrêter ou tuer.”

Quand je vais sur les lignes de front, je sais que je peux partir et ne jamais revenir. Je regarde ma famille dans les yeux en me disant que c’est peut être la dernière fois que je les vois.

Ma carte de presse m’a plus d’une fois sauvée la vie. Certains se posent la question de son utilité. Je peux témoigner que dans ma situation, elle n’est pas faite pour aller au cinéma ou voir des expositions gratuitement.

J’ai un collègue néerlandais, photo reporter, Jeroen Oerlemans qui est mort sous mes yeux à Syrte en Libye en 2016. Il avait une femme et également trois enfants. Il avait le même âge que moi et était très expérimenté (Syrie, Afghanistan, Palestine …). Il était au mauvais endroit au mauvais moment. Il est mort le jour de l’anniversaire de son fils auquel il devait assister à Amsterdam, mais il a décidé au dernier moment de prolonger son reportage de quelques jours.

Mon ami, fixeur, Bakthiyar Haddad est mort après avoir marché sur une mine à Mossoul. Il accompagnait trois journalistes français, dont deux sont également décédés dans l’explosion. C’était un journaliste kurde. Il était francophone. Il a fait un travail remarquable avec les journalistes de nombreux médias. Sans lui, nous n’aurions jamais pu avoir accès à autant d’informations. Il a donné sa vie pour son métier et ce qu’il représente.

“Bakthiyar Haddad incarne toutes ces personnes qui nous aident à travailler sur les zones de guerre.”

Je souhaiterais rendre hommage à ces journalistes et fixeurs, qui nous aident dans notre quotidien, notre travail. J’ai une pensée aussi pour tous les journalistes pigistes, qui travaillent avec peu de moyens, sans lesquels les rédactions ne pourraient pas assurer une couverture complète des conflits.

Voir, entendre et dire la guerre, c’est aussi rappeler que ces personnes font un travail énorme, remarquable, et que sans eux notre parcours à l’information n’aurait pas la même tournure.